REVUE ADOLESCENCE 1997-15-2 

 GREUPP : Philippe GUTTON 9, rue Vaneau 75007 PARIS

 Résumés Le temps de la menace, automne 97

  

 

PHILIPPE JEAMMET: LA VIOLENCE À L'ADOLESCENCE. DÉFENSE IDENTITAIRE ET PROCESSUS DE FIGURATION

 La violence comporte une dimension meurtrière. Elle nie la subjectivité de celui qui la subit, mais elle reflète en miroir une menace sur la subjectivité de celui qui l'agit. Elle peut être vue ainsi comme une réaction primaire de défense d'une identité menacée. L'expérience de la vie institutionnelle en psychiatrie, comme les psychothérapies des sujets ayant des troubles du comportement, sont un terrain d'observation privilégiée.

L'adolescence est une étape de la vie propice aux expressions de la violence du fait de la nature des changements psychiques imposés par la puberté.

La relation de soin doit tenir compte de ces particularités du fonctionnement psychique des patients violents. L'espace de soin peut être vu comme une figuration de l'espace psychique interne du patient et i son aménagement comme un moyen de rendre tolérables les relations dont ils ont besoin. Les médiations et la concrétisation d'une fonction tierce occupent une place essentielle dans cet aménagement.

 

Mots clés : Figuration, Identité, Narcissisme, Représentation, Violence, Figuration 

  

JEAN GILLIBERT: LE PRINCIPE DE RÉTROSPECTION DANS LE TEMPS DE LA CURE

 Autour de la logique du temps rétrospectif et prospectif de la cure analytique, I'auteur pose la question de la réminiscence, du passé et du futur non prédictif. Il ne faut pas mettre au compte d’une logique de l'inconscient la logique de la temporalité rétrospective, La succession n’est pas incompatible avec l’intemporalité. Succession ne voulait pas dire consécution, causalité. L’inconscient avec Freud n'est que teneur, aura chosale, ce que Freud appelait "représentation de chose". Le langage ne peut se réduire au signe ou au symbole. Aucun langage ne peut dire ce que je suis. Il y a une rupture fondatrice et thérapeutique entre les significations et le "dire". Quatre exemples cliniques le montrent. C'est l'effet (la symptomatologie) qui fait croire à une cause et qui cause la cause (là où la psychanalyse s'empêtre dans ce qu'elle a appelé la causalité psychique).

Mots clés : Temps, Rétrospection, Logique, Devenir, Prospection, Paranoïa 

  

CATHERINE CHABERT : FÉMININ MÉLANCOLIQUE

 Le traitement psychanalytique d'adolescentes et de jeunes femmes présentant de graves troubles des conduites alimentaires et notamment des conduites boulimiques permet de dégager un certain nombre de problématiques dont la singularité appelle des élaborations métapsychologiques : l'articulation du masochisme et du narcissisme permet de souligner la prédominance du masochisme moral qui soutend une culpabilité violente associée à une construction particulière des fantasmes de séduction. Le sujet en effet y occupe une place active, ce qui entretient la conviction d’avoir séduit le père. Le "crime" détermine le recours à des conduites autopunitives par l'attaque du corps dans un mouvement d'allure mélancolique.

 

Mots clés : Boulimie, Fantasmes de séduction, Masochisme, Mélancolie

 

HENRI SZTULMAN : ENTRE ADDICTION ET ORDALIE, LES TOXICOMANES

Les travaux les plus récents et divers, cliniques, théoriques et thérapeutiques s'accordent sur une donnée centrale: dans la rencontre, chaque fois singulière, entre une personne, un produit (ou un objet ) et un environnement, ne peut être identifié un type particulier et caractéristique de structure ou d'organisation de la personnalité. Tout au plus les chercheurs et les cliniciens font-ils observer que les mécanismes de défense, la nature de l'angoisse et plus généralement l'économique de ces sujets dits toxicomanes ou drogables évoquent bien souvent ce qu’ils sont habitués à rencontrer dans les états-limites de personnalité, mais non exclusivement.

Un ensemble de traits psychopathologiques communs, tous marqués du sceau de la régression, est par ailleurs aisément repérable chez ces sujets, avec ses conséquences sur l'approche thérapeutique:

 Dans ce contexte conceptuel l'auteur s’efforcera de mettre en évidence les fonctions à 1’oeuvre dans ce type de posture (ou de vulnérabilité) psychopathologique : essentiellement deux, la fonction addictive et la fonction ordalique, qui seront définies, décrites, analysées et, si possible, rapprochées des différents types de structures.

Mots clés : Addiction, Ordalie, Toxicomanie, États-limites,

 

MARC VALLEUR, ÉRIC JERÔME : CONDUITES ORDALIQUES ET ADDICTION

La notion de conduites ordaliques, pont entre diverses disciplines en sciences humaines, s'inscrit à l'origine en continuité d'une approche descriptive, clinique, phénoménologique de la toxicomanie.

Non modèle explicatif, mais angle d'éclairage, elle peut s'appliquer à diverses formes de conduites de risque chez les adolescents. Un modèle des addictions (au sens large, actuel, et nord-américain), peut par contre être esquissé en tenant compte de l'opposition entre deux versants de ces conduites : d'une part, la dépendance, perte de sens, voire désubjectivation, de 1' autre, la conduite ordalique, quête ultime de sens dans la proximité du risque de mort, comme la transgression peut être recherche de limite.

Mots clés : Addiction, Toxicomanies, Conduites ordaliques, Dépendance, Transgression, Jeu pathologique, Modèles,

 

DIDIER LIPPE : JULIETTE OU L’EN QUÊTE D’UN OBJET MAL IDENTIFIÉ

En développant largement le cas d'une jeune patiente boulimique autour de moments mutatifs de la relation transférentielle et des aléas fructueux d'un transfert latéral dans sa cure, j'essaie de mettre en évidence les aspects particuliers et spécifiques de sa relation d'objet Je propose de voir dans la problématique d'addiction et de dépendance à l'objet alimentaire des failles dans les processus précoces d'identification liées au fait que l'objet originel d'investissement serait "mal identifié" ou se serait "mal fait identifier". L'objet ne pourrait alors être introjecté mais seulement incorporé. I1 en résulterait la quête sans fin (dépendance), non pas tant de l'objet lui-même, que d'une tentative d'identification "de" cet objet pour s'y identifier et s'en désaliéner.

Mots clés : Boulimie, Dépendance, Identification, Transfert 

 

ÉLISABETH BIROT : DÉPENDANCE À LA DROGUE ET DÉPENDANCE DU MOI À L’INSTANCE SURMOÏQUE

La problématique de la dépendance est à comprendre dans ses rapports à un objet dont le statut d’intériorité ou d'extériorité est sans cesse à redéfinir. Un cas clinique d'adolescent permet d’illustrer la dépendance du Moi à une instance surmoïque externalisée, omnipotente et destructrice, clivée de son pôle tutélaire et protecteur du narcissisme. L'usage de la drogue permet alors de répondre à ses idéaux contradictoires : l’acquisition d'une position toute puissante et la satisfaction de 1’exigence punitive, sans les conflictualiser psychiquement

 Mots clés : Toxicomanie, Surmoi, Externalisation, Masochisme

  

FRANÇOIS MARTY : FIGURES SONORES DE LA VIOLENCE À L’ADOLESCENCE

Le sonore attaque et construit l'adolescent. I1 est une des figures de la violence a l'œuvre au moment de la puberté, destructrice, côté pubertaire, constructive, côté adolescens. Marquage de l'espace adolescent, lieu des identifications groupales, enveloppe contenante et protectrice face à la menace de la réalisation des fantasmes pubertaires, le sonore exprime la violence de l'adolescence tout en lui donnant forme.

Mots clés: Musique, Rythme, Mélodie, Addiction, Contenant

 

PHILIPPE GIVRE : VIOLENCE DIABOLISÉE ET HYSTÉRISÉE DE LA CULTURE RAP !

Parfois diabolisée ou stigmatisée pour sa violence, la culture rap nous paraît mettre en évidence une phase structurale où se produit une nécessaire hystérisation des conduites et du discours adolescent, en même temps qu'une accession à un registre narratif plus ou moins poétique. En ce sens, l'expression rap, dans ses formes les plus achevées excède ce qui pourrait être assimilé à une simple répétition de fantasmes liés à la scène psychique adolescente pour pleinement participer à l'inscription de ses éléments fantasmatiques dans un processus sublimatoire. Art performatif; le rap se situe à ce point précis où se décide une certaine forme de renoncement et de transposition de l'acte en discours, et cela même s'il doit entretenir une ambiguïté constante quant au renoncement supposé. En ce sens, la "prose combat" inhérente au rap permet à tout le moins de générer cette attaque d'hystérie, propice à augurer cette interprétation violente des scènes du pubertaire. En définitive, la scène rap permettrait grâce à un travail sur la langue - d’un travail sur la voix, la diction et la scansion des textes - de promouvoir une véritable liberté d'improvisation et un "art-de-dire", en accord avec les règles intrinsèques du "speach act" et à l'intérieur des limites édictées par ce genre musical.

Mots clés : Culture rap, Hystérisation; Sublimation performative, Violence pubertaire.

 

ALIX BERNARD : LA MUE DE CLÉMENT, ADOLESCENT SOURD

À travers le cas de Clément est interrogé ce que représente la voix pour un adolescent sourd. Idéalisée ou dénigrée, la voix des "parlants" est enviée. Lien vocal, symbole de ce qui unit des adultes entendants, elle est fantasmée par l'adolescent comme l'équivalent d'une liaison amoureuse, d'autant plus que sa propre voix a été l'objet d'un surinvestissement durant l'enfance. L'irruption de la mue peut alors s'accompagner d'un refus du pubertaire.

Mots clés : Surdité, Lien vocal, Mue, Refus du pubertaire

 

ANNE JURANVILLE: EPILEPSIE ET TRAUMATISME CHEZ L'ENFANT RÉFLEXION SUR UNE FORME MODERNE DE ."POSSESSION"

Cet article se propose de reprendre, dans le fil de l'interprétation freudienne de Dostoïevski et le parricide, la question du statut psychique de certaines formes de crises épileptiques chez l'enfant et l'adolescent, associées à des situations traumatiques. C'est comme défense incorporative d'essence mélancolique qu'on essaie de dégager la dimension proprement psychosomatique de la crise. Cette crise fait advenir un "sujet", (en fait désubjectivé), possédé par le Surmoi "obscène et cruel" dont parle Lacan. Crise qui apparaît comme un deuil impossible, pour autant que, dans sa violence de nature pulsionnelle, elle "récupère" la charge libidinale du trauma en le répétant sur un mode "infernal" (Freud). Les perspectives thérapeutiques impliquées par une telle fonction paradoxale du traumatisme prolongent le dialogue théorique et clinique ouvert entre Freud et Ferenczi.

 Mots clés: Mélancolie, Surmoi, Pulsion de mort, Jouissance

 

CLAUDE SAVINAUD : LE SENS DE L'IRRÉPARABLE

Le passage à l'acte délictueux de l'adolescent peut être reconnu comme un acte de passage venant ponctuer la nécessaire transformation de l'image du corps propre dont découle le remaniement des images parentales. Le masochisme érogène y joue un rôle prépondérant, qui tend à substituer à des représentations d'objet inaccessibles un objet "déjà là", le corps de l'adolescent porteur de l'introject maternel. Le retournement de la pulsion sur soi-même et en son contraire lui offre un moyen de contenir l'excitation, un "self-control" fragile maintenant la liaison des pulsions agressives et libidinales, et transformant cet auto-érotisme négatif en masochisme moral. L'irréparable de l'acte fonctionne comme point de départ d'une subjectivation, où le Sujet peut s'approprier ses propres cassures, plutôt que de les attribuer projectivement au contexte relationnel.

Mots clés: Passage à l'acte, Masochisme moral, Subjectivation

 

GUY LAVALLÉE : PAS LE TEMPS ! NOTES SUR LES CONTENANTS DU TEMPS

L'article décrit un adolescent qui a été un enfant autiste, aux prises avec l'angoisse du temps, dans un travail de "médiation symbolisante" avec la vidéo, en hôpital de jour. L'auteur met en évidence l'ensemble des conditions cliniques qui permettent à cet adolescent de sortir d'un état de chaos et d'excitation psychotique atemporel. L'analyse de l'impact psychique du dispositif technique vidéo permet de comprendre que l'investissement en emprise fixe et contrôle le temps, tandis que l’hallucinatoire le réactualise et le suspend pour un bref moment d'éternité. En constituant une position thérapeutique spécifique contenante, l'auteur permet à cet adolescent d'orienter et de freiner la flèche pulsionnelle du temps, puis, de créer un minimum vital de continuum temporel. Une ultime séquence clinique décrit le passage d’un état d'angoisse de précipitation panique, dans le temps de la séparation, à la possibilité de penser sereinement le temps des retrouvailles.

De l'ensemble de ces observations, l'auteur dégage quelques jalons pour une théorie psychanalytique des contenants du temps de la pensée.

Mots clés : Psychose post-autistique, Angoisse temporelle d'emballement, Médiation symbolisante thérapeutique, Vidéo, Trame préconsciente, Processus tertiaires, Contenant temporel, Flèche pulsionnelle du temps, Emprise, Hallucinatoire, Contenants du temps 

 

RÉGIME WAINTRATER : GRANDIR PENDANT LA SHOAH, L’ADOLESCENCE EMPÊCHÉE

L’adolescence se caractérise par un besoin d’étayage sur la réalité externe. Dans le cas d'une catastrophe sociale et psychique comme la Shoah, la destruction de la réalité externe prive le sujet d’étayage, le laissant ainsi aux prises avec une réalité interne vécue comme destructrice. En l'absence de structures médiatrices comme le groupe des pairs ou l'école, l'adolescent aura recours à des mécanismes comme la répression des affects ou le déni, dont le maintien prolongé marquent de façon indélébile son devenir psychique.

Mots clés : Shoah, Réalité externe, Catastrophe psychique, Étayage, Formations intermédiaires

JEAN LAPLANCHE : LA SOI-DISANT PULSION DE MORT : UNE PULSION SEXUELLE

Dans une première partie, historico-critique, l'auteur montre la fonction de l'invention de la pulsion de mort dans l'évolution de la pensée freudienne. La pulsion de mort correspond à un rééquilibrage au sein de la théorie de la sexualité, alors qu’elle est considérée à tort comme un ajout externe à celle-ci.

Dans une seconde partie, métapsychologique, l'auteur situe la pulsion de mort dans la genèse de l'appareil psychique, comme un des résultats du refoulement originaire, constitutif du ça. L'opposition pulsions sexuelles de vie / pulsions sexuelles de mort correspond à la polarité fondamentale : liaison / déliaison.

Dans une troisième partie, l'auteur esquisse une théorie psychologique générale du problème de la haine, à partir de trois facteurs : l'agressivité autoconservatrice ou combativité - la violence sadique de la pulsion sexuelle de mort - la jalousie spéculaire narcissique.

Mots clés : Pulsion sexuelle de mort, Refoulement originaire, Déliaison, Agressivité

 


Dernière mise à jour : avril 2000

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